L'archipel Alexander
ALASKA
Mai à août 2018
Trois mois et 1600 km de kayak de mer dans l'Archipel Alexander de Ketchikan à Skagway puis de Sitka à la baie des glaciers.
Trois mois d'école buissonnière le sourire aux lèvres, de surprise en surprise, loin de nos routines civilisées et abrutissantes. Trois mois à glisser de joie sur nos fiers kayaks, à chanter sous l'averse, à danser dans les vagues, à livrer nos rêves libres aux aigles ivres de brise, aux dauphins silencieux, aux baleines complices, aux matins lumineux, aux saumons qui bondissent, aux ours bedonnants, aux feux crépitants, aux glaces dérivantes et aux algues qui les retiennent dans leurs longues chevelures mouvantes.
" La nature nous comble sans réserve et nous tremblons de toutes nos cellules : de froid et de joie."
De Ketchikan à Wrangell
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A peine partis de Ketchikan sous une pluie battante, nous avons commencé à croiser quelques baleines et le soir, transis de froid, après avoir déchargé notre barda sur un îlot au beau milieu d'une grande baie ouverte aux quatre vents, sous le regard inquiet des phoques, elles sont revenues en nombre et nous ont accompagnés toute la nuit de leur souffle puissant. Le lendemain, en pleine traversée vers une pointe battue par les vagues, elles se sont mises à faire des cabrioles sous nos yeux ébahis, déplaçant dans le vent déchaîné de grandes gerbes d'eau accompagnées de nos commentaires élaborés (wahou pu.... ça alors. ..).
Et puis ça ne s'est plus arrêté : le soleil cuisant, la pluie qui verse de grandes rasades glacées dans nos cous frissonnants, les orques qui nous coupent la route et les phoques qui se dressent par dizaines pour nous intimider. Et les montagnes avec leur air pas commode qui nous toisent de leurs perchoirs, enrubannées de neige et de nuages, pour finalement se pavoiser le soir, sous un doux soleil qui flatte leur minois charmant et leurs jambes légères et boisées. Et la forêt, pas moins fière de posséder tout l'espace avec ses armées de troncs titanesques , ses sous bois mystérieux et ses mousses propres à étouffer les pas de dinosaures qui s'y cachent encore certainement, nous livrent sans repos les cris d'un fourmillements de pattes, d'ailes et d'yeux qui nous scrutent sans vergogne .
Nous avons chanté à tue-tête pour nous réchauffer, nous rassurer et placer un quelque-chose d'humain dans cette nature si vierge, si belle, si majestueusement maîtresse de tous ses sujets dont nous figurons les plus indignes et maladroits représentants. Et cet autre soir où nous avons dû nous résoudre à monter le bivouac près de belles traces de maman ours et de sa gentille progéniture. Nous y avons parlé fort la nuit venue pour couvrir les bruits suspects et le râle gargantuesque d'une énorme colonie de phoques. Et une fois bien au chaud dans nos duvets, prêts à rendre les armes, les baleines sont revenues à la charge, à quelques mètres de la plage, pour ourler de grandes vagues avec leurs nageoires dressées et faire résonner sous les falaises de la baie d'Emeraude leurs voies de stentor.
De Wrangell à Juneau
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Après Wrangell, nous sommes restés coincés sur d'immenses bancs de sable, les pieds dans l'eau à écouter le chant de la pluie sur nos chapeaux en avalant notre riz, le temps que la marée monte. Et le soir, après avoir monté un bivouac bien mérité, nous avons découvert une belle carcasse de phoque à quelques mètres de là, nous invitant à repartir pour observer de plus loin les bêtes de tous poils conviées au festin.
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Nous avons rencontré Kelly qui vit sur un bateau et sillonne l'Alaska en kayak depuis dix ans. Il sculptait paisiblement des dents d'orques sur les galets, quand nous nous sommes joints à lui pour une agréable soirée riche en histoires d'ours, de chasses, de pêches et de rencontres miraculeuses.
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Puis le soleil est revenu et sur une mer d'huile, nous avons traversé d'immenses baies suivis de près par de gros phoques à fourrure.
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Nous nous sommes faufilés entre les glaces flottantes de la baie Leconte, sous le regard inquiet des mères phoques. Et le soir, il nous a fallut plus d'une heure sous une pluie glaciale pour lancer un feu timide en grattant chaque branche pourrie pour en atteindre le cœur.
De Sitka à Gustavue (Parc national de la baie des glaciers)
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L'aventure a cela de différent du simple voyage touristique qu'elle offre ce que l'on n'attendait pas et qu'elle grave dans notre chair des émotions insoupçonnées, nouvelles et déroutantes, bien plus profondément ancrées que si elles y étaient simplement déposées au détour d'une rencontre prévisible ou d'une découverte planifiée.
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On se lasse difficilement de la beauté lorsqu'elle est fugace, sauvage, imprévisible, changeante, irrésistiblement indifférente ou délicieusement complice, selon son humeur. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui nous attendait ces quinze derniers jours avec Florane alors que le décor et le rythme des journées s'annonçaient invariablement similaires. Mais la nature ne s'encombre pas de routine civilisée et abrutissante sous ces latitudes préservées. Elle tourne sans se soucier de nos états d'âme, ses grands rouages à piler les montagnes et à féconder les déserts. Et pour peu que nous nous donnions la peine de transpirer et de trembler un peu dans nos carcasses si précieuses pour partager un seul instant l'ivresse de ce foutu mouvement ; on en reste pantois avec les jambes qui vacillent et la langue qui se déroule sur le sable froid !
Le parc national de la Baie des glaciers
Après avoir peiné dans les courants et sur les vagues, après avoir douté sur le revers des cartes dont l'échelle paraissait s'allonger; nous avons brisé les courbatures à grands coups de pagaies, brûlé le froid sur nos feux de joie, noyé le sommeil au fond des hamacs et les doutes au fond des canettes ! Et nous avons commencé notre moisson généreuse avec un de ces rires enfantins qui disent tout et auxquels on ne peut presque rien ajouter si ce n'est : "wahou je suis trop content" !
Nous avons approché à quelques mètres un grizzly en train de déchiqueter un phoque, nous avons pris le soleil en maillots de bain à quelques centaines de mètres d'énormes blocs de glace qui plongeaient à grand fracas dans la mer, nous avons accompagné les phoques dans leur sieste à la dérive, les loutres dans leurs exercices de natation synchronisée, les dauphins par dizaines dans leur quête luisante et silencieuse et les baleines en plein repas. Nous avons dégusté des pizzas, des petits pains chauds, quelques saumons pressés d'en finir et même partagé notre petit déjeuner avec un ours brun venu déguster quelques coquillages à nos côtés.